Pas encore jugés, mais condamnés par les médias

Publié le par journalmongongo.over-blog.com

Des présumés bandits, voleurs ou braconniers, civils ou militaires, sont régulièrement présentés comme des coupables par les médias alors qu’ils n’ont pas été encore jugés. Des présentations qui violent leurs droits et sont interdites par la loi.

 

Cinq hommes en tenue militaire ont été présentés à la presse mardi 23 août par le Commandant de la 9è région militaire comme étant des Congolais qui se feraient “passer pour des militaires de l’Armée de résistance du Seigneur (LRA), pour créer la panique et piller la population”, dans le territoire de Niangara. Une semaine plus tôt, six présumés braconniers avec des effets militaires ont été exposés lors des parades militaires au camp Ketele. Ainsi, près d’une quinzaine de personnes arrêtées dans la ville et à l’intérieur de la province ont été montrées depuis le début de l’année. Il arrive que le Maire, le service des renseignements, la police et autres fassent de même pour des gens qu’ils estiment troubler l’ordre public.

Ces derniers temps, ces exhibitions des accusés sont de plus en plus relayées par les médias boyomais fournies en dépêches par la direction de la presse militaire ou lors des points de presse. “…X a présenté des inciviques…des hors-la-loi, des coupeurs de route… ceux qui sèment la désolation dans Y village…”, entend-on ainsi dans les radios et télévisions où leurs noms, âges et adresses voire leurs visages sont parfois précisés. Pourtant, selon la loi “toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité soit établie.”

 

Violation des droits

Cette pratique suscite ainsi des débats. Kakwa, Ier Subtitut du Procureur, estime que “quand on montre une personne armes à la main, c’est un message qu’on envoie à la population comme si ces faits étaient déjà établis”. Un avis que partage l’Auditeur de garnison de Kisangani qui soutient que l’on ne devrait montrer un accusé qu’après la décision du tribunal, “mais, les usages, les habitudes prouvent que ça ne pose pas un problème de montrer le visage des prévenus dans les médias”. Richard Bangala, avocat et ancien magistrat militaire abonde dans le même sens, mais précise que cela n’est pas prévu dans les statuts de l’armée. Toutefois, “ces diffusions visent à décourager ceux qui violent la discipline militaire”, interpelle-t-il. Pour le substitut du Procureur de la République, “c’est une façon pour l’armée de montrer qu’elle fait bien son travail”, opine-t-il.

Pour J-P Serge Bopengo, juge au tribunal de grande instance de Kisangani, présenter ces personnes aux médias est “une violation des droits à la présomption d’innocence, à l’image,…”. Le code d’éthique et déontologie du journaliste congolais prône que “le droit de la personne de protéger sa réputation et son intégrité doit être respecté” pour ne pas tomber dans un délit de presse. D’après Alexis Dunia, Coordonnateur adjoint du Conseil supérieur de l’audiovisuel et de la communication (CSAC ex-HAM), le problème est que les journalistes se contentent des informations officielles. “Ils ne sont pas obligés de diffuser fidèlement ces propos ou ces images…”, a-t-il lâché.

 

Respecter les règles du métier

“Nous traitons ces dépêches et ces images du point de vue forme seulement”, témoigne François Okonda, rédacteur en chef à télévision nationale/Kisangani. “On évite d’appliquer la rigueur sur le fond comme pour d’autres informations de peur de toucher au secret défense”, a-t-il confié. Bien que connue, la disposition du Code des journalistes ne s’interprète pas de la même façon dans la profession. Nombreux sont ceux qui estiment se limiter aux faits. “Citer les noms n’est pas un problème tant qu’on précise la source d’information”, avance Vava Chikaka, rédacteur en chef à Radiotélévision Amani.

“Nous prenons la précaution d’utiliser le conditionnel, de ne pas citer les noms, car ces gens ne sont pas encore condamnés”, assure, lui, Jacques Mukonkole, secrétaire de rédaction à la radio Okapi. Le risque, c’est de stigmatiser des personnes dont la culpabilité n’a pas encore été prouvée ajoute le juge Bopengo. “Après le procès, elles peuvent être acquittées puis ouvrir une action judiciaire contre ceux qui ont sali leur réputation pour diffamation ou imputation dommageable”, met-il en garde. La sanction touche alors tous ceux qui sont impliqués : le présentateur du journal ou le rédacteur de l’article, le preneur des vues ou sons (8 jours à un an de prison ou amende), le média (dommages et intérêts) et celui qui les présente. Selon le greffe de l’auditorat parmi tous ces inculpés, certains sont, en effet, acquittés après procès.

Pour l’heure, le sujet est tabou dans la profession voire à l’organe de régulation, inactif depuis quatre ans déjà. Mais “le mieux c’est de respecter les règles du métier”, recommande Alexis Dunia.

Trésor Boyongo. Août 2011

Publié dans Mongongo 43

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